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Stefan Zweig a écrit une biographie passionnante sur Nietzsche dans laquelle il compare Nietzsche à Vincent Van Gogh. Et il a raison puisque les époques correspondent : entre 1870 et 1890, grosso modo, on est dans la grande époque de production nietzschéenne et de production intense d'œuvres de Vincent Van Gogh.
Il y a une similitude entre ces deux esprits de génie, ces deux locomotives. Nietzsche dans la production philosophique, Van Gogh dans la production de peinture. Il y a cette même passion, ce même jusqu'au-boutisme. Et, point très intéressant, Zweig nous dit qu’il y a une autre similitude : Nietzsche et Van Gogh se renouvellent sans cesse.
La philosophie nietzschéenne, c'est à chaque fois la déconstruction des bases et le recommencement à zéro.
Le Ainsi parlait Zarathoustra, c'est un livre qui acte la théorie de l'évolution de Darwin : tout évolue, même la pensée.
Pour Nietzsche, la philosophie n'est pas une base stable sur laquelle il faut se référer comme une pensée immuable. Van Gogh a la même pratique artistique.
Il recommence sans cesse à zéro. Le Van Gogh de 1885 n'est pas le Van Gogh de 1887 et c'est encore différent de 1889. Donc il y a cette remise en question permanente de cette deux esprits de génie qui fait que l'art passe à un niveau supérieur. Les génies de l'histoire de l'art sont ceux qui ont poussé les murs.
Que voyons-nous à notre époque ? Des artistes qui sont à la recherche d'une marque de fabrique, de quelque chose qui permette de les reconnaître instantanément, parce que, dans une logique commerciale, être reconnu facilement, c’est être connu, et ça permet de faire monter les cotations sur le marché de l’art.
C’est bien gentil, mais la recherche artistique dans tout ça ?
On se retrouve – surtout chez les Américains – avec des créateurs qui nous font des marques, des brands, facilement reconnaissables et associables à un nom.
Ils vont répéter de manière autistique les mêmes motifs, comme Keith Harris. Une fois "le truc" trouvé, ils le reproduisent dans toutes les combinaisons possibles.
On imagine difficilement Jackson Pollock et Mark Rothko trouver une autre forme d’expression à la suite de celle pour laquelle ils ont connu le succès commercial. Paradoxalement, Pollock et Rothko ont créé des impasses desquelles ils ne sont jamais ressortis.
Esprits formatés ? Il faut dire que la quasi-totalité des futurs artistes contemporains dans le monde sortent des écoles des beaux-arts.
Il y a forcément un polissage de la pensée artistique qui est néfaste pour l’art en général. Et le wokisme n’a rien arrangé en ajoutant son lot d’interdits et de censures ! Combien de plasticiens se tournent vers l’abstrait ou le paysage pour éviter de blesser les sensibilités ?
C’est la stagnation contemporaine. Quand on ouvre un catalogue d’art contemporain, on y trouve la même chose que ce qui se faisait déjà il y a trente ans.
Pablo Picasso s’est trompé quand il a dit « Après moi il n’y aura qu’un champ de ruines », parce que, dans son narcissisme, il plaçait sa personne comme étant la cause du champ de ruines. Or, nous serions dans un champ de ruines même sans Picasso. L’Occident est en décadence, et c’est une fatalité à laquelle personne ne peut échapper.
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Banksy fait un happening où son dessin s'auto-détruit au moment précis où il est vendu aux enchères, ce qui permet à "l'œuvre" de dépasser encore son prix de vente. On imagine mal ce qui nous resterait d'histoire de l'art si des artistes comme Michel-Ange ou Van Gogh avaient été assez nihilistes pour détruire leurs propres œuvres.
Dans une fin d’une civilisation, il se crée une sorte chape de plomb intellectuelle qui empêche d’atteindre les hautes sphères. On croit que ça foisonne de tous côtés, en vérité ça croupit de tous côtés, ça tourne en boucle, ça se rabougrit, ça fait pschitt !
A l’époque des réseaux sociaux, de l’immédiateté, des phrases courtes, de la censure idéologique, faut-il s’étonner de trouver une régression du langage même chez les artistes ?