L’affaire Boualem Sansal divise la France de 2025 à peu près autant que le conflit israélo-palestinien. Au fil d'une information plus politisée que jamais, accuser sans savoir est devenu un principe récurrent, dénoncer sans comprendre une habitude. Tout le monde y va de son avis personnel bien souvent sans avoir même pris le temps de lire l’auteur. Petite introduction à son œuvre, avec un roman et un essai.
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Qu’on le dise tout de suite, pour comprendre 2084 La Fin du Monde de Boualem Sansal, mieux vaut avoir lu 1984 de Georges Orwell auparavant, sinon vous passerez à côté de bon nombre de références.
2084 est le livre d’un grand écrivain. Grand Prix du roman de l'Académie française, ce livre est à placer entre 1984 d'Orwell, dont il se veut la continuité musulmane, et le Camp des Saints de Jean Raspail. D’ailleurs, le parallèle avec Le Camp des Saints – un roman qui traite du Grand Remplacement – est intéressant à plus d’un titre car, comme l’indique la préface de ce dernier :
La loi Gayssot (1990), la loi Lellouche (2001) et la loi Perben (2004) (…) le renfort musclé de la HALDE (Haute autorité de lutte contre la discrimination et pour l’égalité) … Il en ressort que le Camp des Saints, s'il voyait le jour pour la première fois, serait impubliable aujourd'hui, à moins d'être gravement amputé. On peut mesurer (…) combien a été restreinte et encadrée, dans ce pays, la liberté d'expression, précisément sur ce sujet-là.
Nous qui imaginions qu’un artiste pouvait tout dire à travers son art, voilà que nous découvrons que, même en France, il y a des romans interdits. Pour le bien général, bien entendu ! L’enfer est pavé de bonnes intentions, et c’est aussi le sujet de 2084.
Mais il ne s’agit pas d’une de ces dystopies calibrées pour devenir bien vite des scénarios de films ou de séries. Boualem Sansal possède une plume, un style, il aime à essaimer les impressions, les sensations, en ne donnant que peu d’indications sur le cadre temporel ou géographique, ce qui renforce l'impression d'ignorance dans laquelle somnole l'Abistan, ce mystérieux pays qui a soumis le monde entier à sa foi unique.
L’écriture y est suave, presque sensuelle. Il faut se laisser porter, comme dans la torpeur de l’été. Il faut lui faire confiance au narrateur. Il y a un mystère, des énigmes dans les références, on pourra relire le roman avec autant de plaisir. Ce que l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler nous a expliqué dans son enquête sur le Frérisme et ses réseaux, Boualem Sansal l’exploite ici sous la couverture de la fiction, en poussant l’histoire jusqu’à son paroxysme. On pense à Albert Camus souvent dans cette langueur narrative, on sourit aussi des audaces linguistiques de l’auteur, car Sansal aime jouer avec les mots, les sons, il aime la langue française, et celle-ci devient encore quelque chose d’autre sous sa plume.
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Il s’amuse aussi dans Le Français, parlons-en ! , un essai formidable sur la langue, qui fait bien sûr écho au roman 2084, également très accès sur la langue, la perte du langage articulé, la perte du vocabulaire, la perte des racines sémantiques, thèmes également orwelliens. Sansal a le talent de nous transmettre des idées et nous faire partager sa vision de la situation actuelle sans pour autant tomber dans le professoral ou le rébarbatif. Cet essai est à la fois léger et profond, amusant et triste, écrit dans un français admirable, qui vient dresser ce constat bien amer :
"La flamme de la francophonie est aujourd’hui bien pâle. Pour les petits Français, c’est l’heure des mangas psychédéliques, des tweets éclairs et des sitcoms daechiennes sur le Net. Pas des libelles mélancoliques du vicomte de Chateaubriand." Boualem Sansal.
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Pour aller plus loin, vous pouvez retrouver l'ensemble des romans de Boualem Sansal, de 1999 à l'an 2011, aux éditions Quarto de chez Gallimard.
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